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Aux Rageurs !!!! Aux Désespérés !!!

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  • Aux Rageurs !!!! Aux Désespérés !!!

    Dans le cours ordinaire de leur vie, les hommes sont soumis à d’innombrables contraintes. Pour subvenir à leurs besoins, se protéger des intempéries et des périls ils doivent prendre place dans le réseau des diverses activités qui tissent le lien social et s’y plier vaille que vaille, comme se plier aux règles et coutumes qui ordonnent le vivre ensemble. Et, qu’il y soit contraint ou bien qu’il s’y adonne de son plein gré, celui qui travaille n’est plus tout à fait un enfant. Il a, déjà, quitté le temps de son enfance, l’époque de l’insouciance et de ses fantaisies. Cependant, ce temps qu’il a quitté l’être humain ne l’a jamais tout à fait perdu et, sitôt qu’il se remet à jouer, il retourne, d’une façon ou d’une autre, à son enfance. Le jeu est, en effet, toujours, pour une part, le retour de l’enfance dans l’homme, ce temps qui ne sait encore rien ou ne veut rien savoir des contraintes imposées par la vie et des violences des rapports interhumains.

    L’autre scène
    Le monde de la vie commune est tissé de ces contraintes sans nombre imposées par le besoin de se nourrir et de se protéger des intempéries, comme de s’ajuster à celles de la vie en commun : lois, façons de se comporter, habitudes collectives, toujours, en tout cas, des règles imposées du dehors et qui limitent d’autant les prérogatives de chacun. Et, lorsque son travail a pris forme d’esclavage, la marge d’initiative de l’individu est quasi nulle car, dépossédé de son temps et de son propre corps, il est transformé en machine à produire. Cependant, quand bien même ils sont pris dans ce réseau complexe qui façonne leur vie en lui imposant son rythme, les hommes n’en demeurent pas moins disposés à jouer. Que vienne à cesser l’urgence des tâches ou des soucis avec le sérieux que cela impose et qu’une portion de temps leur semble disponible au gré de leur fantaisie suffit pour susciter, à nouveau, une activité qui n’a rien à voir avec l’activité laborieuse. Ils se mettent alors à chanter, à esquisser un pas de danse, à sortir l’échiquier ou le ballon rond, en un mot à jouer. Vivant dans le même monde et pas tout à fait dans le même monde car sur une scène qui, elle, ne sait rien des urgences et des contraintes. Toujours encore dans la vie, comme en témoigne l’énergie qu’ils y dépensent, mais sur une scène tout autre que celle de la vie ordinaire. Jouer est quitter l’espace du monde ordinaire, ses soucis et ses urgences pour faire son entrée sur une autre scène, toute au plaisir de la fête.
    Ce qu’on appelle le « loisir » est trompeur qui pourrait laisser à penser que l’activité est à régime moindre. En fait, qui s’adonne au jeu, se dépense volontiers avec une intensité souvent plus considérable que celle qu’il dépense dans son travail. Si le joueur est aisément passionné c’est que l’activité à laquelle il s’adonne n’est pas de simple substitut, comme pour lui procurer du repos après le temps du travail. Tout jeu, en effet, est, bien plutôt, selon le juste mot de Huizinga, comme un agôn, un combat qui mime les conflits et les contradictions de la vie. Un combat, puisqu’il implique une lutte avec un partenaire, mais sur le mode du mime. Non pas une banale reprise du combat de la vie ordinaire, mais une reprise comme mime et qui se sait telle.
    En ce sens, tout jeu est, à des degrés divers, un comme si. La lutte qu’il met en scène, intense sur le terrain de football ou de rugby ou encore sur le court de tennis est comme une reprise de la lutte qui oppose l’homme à l’homme dans la vie ordinaire. Mais elle n’en est pas moins comme si elle n’en était pas tout à fait la répétition. Dans l’agôn du jeu, chacun affronte un autre. Il cherche, bien évidemment, à le surpasser car la victoire est gratifiante. Mais l’autre est moins un adversaire qu’un partenaire dont on ne triomphe que d’une manière symbolique. L’antagonisme est indéniable puisque chacun cherche à gagner. Cependant, le partenaire n’est jamais un ennemi et la joute qui oppose l’un à l’autre ne peut, à aucun moment, se transformer en une guerre. La force du jeu tient à la possibilité qu’il offre à l’énergie de la vie de s’exprimer, mais sur le mode du mime qui sait se garder des dérives de la violence. Si la victoire élimine l’autre, elle ne le fait que de cette manière symbolique et non réelle. Aussi intense que soit l’affrontement, il exclut la mort du perdant car chacun sait qu’un affrontement de cet ordre a une limite et que le sens de la limite est la marque essentielle du jeu.
    Telle est bien la singulière magie du jeu. Il se déroule dans la vie et il se nourrit de la vie, puisqu’il en répète les conflits mais à la condition d’en déplacer les enjeux. Il mime les conflits des hommes, mais cette mimique est toujours en comme si, tel l’acteur qui vit de la vie de son personnage violent, brutal voire grotesque. Dans le seul temps de la représentation, pourtant car, pour le reste de sa vie, il ne saurait se confondre ou se laisser confondre avec le personnage joué sur la scène. Quelle que soit sa prestance, l’acteur n’est Macbeth, Tartuffe ou Dom Juan que le temps de la représentation. Une fois sorti de scène, il redevient un homme comme les autres. Faire son entrée sur la scène en s’identifiant au personnage qu’il va jouer est se mettre un masque, en sortir est quitter ce même masque pour revenir à la vie civile ordinaire. Tout jeu est, en ce sens, une activité codifiée, rigoureusement circonscrite par un ensemble de règles. Cela est nécessaire pour conjurer le retour du chaos meurtrier.
    Sans doute, les règles varient-elles d’un jeu à l’autre, cependant une règle non écrite préside à tout commencement de jeu : ce qui s’y passe n’est jamais simplement comme dans la vie, ce n’est qu’un comme si, tout à la fois semblable à la vie, mais dissemblable. Pour devenir jeu, en effet, la répétition de la vie s’effectue toujours sur la base d’un déplacement. Si elle ne ressemble pas à la vie, elle ne présente guère d’attrait car terne et sans énergie, mais elle ne peut lui ressembler qu’à la condition de la purger de sa part de nécessité et de violence. Les jeux du cirque, tels que pratiqués dans la Rome impériale, n’ont été que la caricature triviale de l’activité ludique, puisque le gladiateur vaincu est mis à mort. Ce pouvait être un jeu pour le spectateur sur les gradins. Un jeu pervers, au demeurant, puisqu’il pouvait décider de la vie ou de la mort du vaincu, en fonction de son seul caprice. Mais non pas pour le gladiateur au centre de l’arène, guère mieux loti que sur un champ de bataille. Au jeu des échecs, par contre, le roi vaincu est mat, il est mort. Mais la pièce qui est alors couchée ne l’est que d’une manière symbolique : pour la partie suivante elle est relevée, comme l’acteur se relève, une fois le rideau tombé.

    Un rythme autre du temps
    Le temps du jeu, quant à lui, obéit à cette même règle non écrite et pourtant évidente aux partenaires. Il a son rythme, en un sens analogue à celui de la vie, puisque la partie ne peut durer indéfiniment. Si la partie ou le spectacle ne veulent pas lasser les partenaires ou les spectateurs, il leur faut bien finir à un moment donné. Cependant, lors même qu’il paraît le plus lui ressemblé, ce rythme n’a guère à voir avec celui qui scande le quotidien des jours.
    Dans ce quotidien de la vie, en effet, le temps s’écoule sans que rien ni personne ne puisse en transformer le rythme. Trop lent au gré de l’impatient qui voudrait déjà être à demain pour assister à la réussite de son rêve ou de son projet. Trop rapide à qui en ressent, dans sa chair, la morsure et découvre que les moments passés sont perdus à jamais. La jeunesse passe, dans l’insouciance de celui qui gaspille ses jours d’autant plus volontiers qu’il ne sait pas encore que le temps perdu ne se rattrape jamais. Et, lorsque l’être humain commence à prendre la mesure de ce changement inexorable, il est déjà trop tard. Ne restent alors que la nostalgie et quelques bribes de souvenirs d’amours fanés que rien ne pourra faire revivre ou d’une vie gâchée que nul ne pourra rattraper.
    Dans la vie ordinaire, donc, le cours du temps est irréversible et la jeunesse perdue ne reviendra jamais. Par la magie du jeu, par contre, le cours du temps ne l’est plus, puisque la possibilité est conservée de revenir en arrière et de recommencer, lors même que l’on a perdu. Le perdant conserve la possibilité de reprendre ses cartes ou ses pions, il peut se remettre sur la ligne du départ et tout recommencer comme si rien n’avait eu lieu. Il n’est pas réellement affecté s’il parvient à tirer la leçon de son échec et en effacer toute trace dans une nouvelle tentative, réussie, celle-là. Dans ce quotidien ordinaire, celui qui gaspille son temps ne pourra jamais le revivre. Ce qui s’est passé a eu lieu, cela nous a marqué et cette marque est malaisée, voire même impossible à effacer, comme le demeurent les séquelles d’une blessure traumatique. Parce qu’il a inscrit sa marque dans la chair de l’existence, l’événement brutal est impossible à oublier. Il n’est entré dans la vie qu’en lui faisant violence et celui qui l’a enduré ne peut en effacer la trace qui le marque à jamais.
    Il n’en va pas de même dans le jeu où le perdant conserve la possibilité de recommencer et, peut-être, de gagner. Le jeu offre, en effet, cette possibilité introuvable ailleurs dans la vie : ce qui a eu lieu n’hypothèque pas l’avenir et le présent conserve la possibilité d’être toujours neuf et sans cicatrice. Le passé ne pèse en rien sur le présent et le temps à venir demeure disponible. Un temps irréversible fait courir à la vie le risque de l’enfermer dans ses échecs, ou dans ses traumatismes. En ce sens toute névrose est maladie d’une vie dans l’incapacité de se déprendre des événements qui lui ont infligé une blessure inguérissable, prisonnière du temps parce que prisonnière d’un moment de son passé. Le temps réversible, par contre, maintient ouverte la possibilité de réussir ce qui n’avait pu l’être. Chaque partie nouvelle qui commence ouvre un temps neuf. Non pas tout à fait sans mémoire car demeure le souvenir des échecs antérieurs, mais ces derniers peuvent n’être considérés que comme des essais. Des essais ratés, peut-être, mais sitôt que le joueur en a compris les raisons, ils ne sont que des leçons pour ne plus, désormais, se laisser prendre au dépourvu.
    L’expression n’est donc pas trop forte qui parle, ici, de magie. Magie d’une scène inscrite dans l’espace ordinaire sans en faire réellement partie et magie d’un temps dont on peut annuler les effets destructeurs. Une telle magie désigne la brillance d’une vie qui, là, vit au rythme de ses seuls rêves et qui ordonne son monde à partir de ses rêves. Elle éclaire comme un monde autre et elle fait briller les yeux, comme ceux des enfants au spectacle du cirque, devant cette possibilité offerte d’une vie qui soit enfin la vie vraie parce qu’en réponse aux attentes des rêves et d’une vie où les rêves parviennent à prendre corps.

    La fête des mots
    Mais nulle magie ne passe que par les mots. C’est la souveraine aisance de la parole qui, seule, permet à cette dépense d’énergie pour rien sinon elle-même et le plaisir de vivre de devenir jeu, se distinguant, par là, de l’exubérance des jeunes mammifères supérieurs. Ces derniers peuvent donner l’impression de s’adonner à un jeu en s’exerçant à une traque qui n’en est pas une, puisque le partenaire n’est pas réellement une proie et que la nourriture leur sera fournie pas leurs géniteurs. Toutefois, l’exubérance de leurs mouvements ne parvient pas à s’ordonner comme conduite de jeu, faute de pouvoir se parler. Par contre, le petit d’homme qui inaugure le moindre de ses jeux ne le fait qu’en parlant et en se parlant.
    « Il était une fois… » Ainsi commencent tous les contes. Et, dès lors, tout s’agence au gré de la parole qui dispose des lieux, des temps et des événements, dans le récit qui prend corps au fil de sa narration. Tout jeu repose sur la possibilité offerte par les mots de se déprendre de la situation présente, d’annuler ses contraintes, de faire que ce qui est ne soit plus et que ce qui n’est pas advienne. C’est la parole qui ouvre la porte du jeu parce que c’est elle qui ouvre sur les domaines du rêve et, par le simple fait de le dire, donne consistance à ce rêve. Seuls, en effet, les mots sont en mesure d’opérer ce changement de registre dans la vie qui permet de quitter la grisaille plus ou moins terne du présent pour s’envoler vers des ailleurs colorés.
    Cependant, si la parole qui ouvre le jeu décroche de la sorte des contraintes du quotidien c’est qu’elle-même ne s’en tient pas au rôle assigné dans l’échange ordinaire. Elle ne permet de jouer avec la vie que parce qu’elle s’autorise, elle-même, à se jouer de son assignation initiale, en prenant liberté à son endroit. Apprendre à parler est apprendre les mots reçus de la communauté, c’est assimiler une langue, ses règles de syntaxe et de vocabulaire. Se faire comprendre d’un autre exige l’apprentissage patient de cette discipline. Faute de s’y plier, celui qui veut s’exprimer demeure, au milieu de tous, tel un étranger ignorant les mots de la langue. Parler exige donc un ajustement : à la langue, à ceux à qui il veut s’adresser, à la situation enfin. Sans cela les mots proférés ne sont que borborygmes, des sons barbares privés de sens.
    La parole qui joue ne renonce pas à un tel ajustement. Y renoncer est se rendre incompréhensible. Mais elle se refuse à n’être que cela lorsqu’elle commence la narration du conte et, plus encore, lorsqu’elle introduit, dans les mots, le jeu qui invite à entendre un autre sens. Enoncer une chose et, dans ce dit, en laisser entendre une autre : ainsi l’humour ou le mot d’esprit. Le mot d’esprit ne s’énonce qu’en incitant à introduire la jonglerie dans la situation et dans la vie comme il l’introduit dans les mots. La parole qui ouvre l’espace et le temps du jeu se confère donc à elle-même un étrange statut. Elle ne méconnaît rien des contraintes de la langue, mais elle est invite à habiter une autre scène du monde et un autre temps de la vie en se racontant à elle-même une histoire. Et, plus encore, lorsqu’elle jongle avec les mots, invitant à les entendre d’une manière autre que dans les échanges ordinaires. L’humoriste jongle avec les mots comme d’autres avec des objets, habitant en un espace sans pesanteur puisqu’il se déprend de la gravité de la vie et de ses urgences.
    Tout jeu, sans doute, implique une règle et il exige de chacun qu’il y consente et qu’il s’y plie. Il ne peut se laisser confondre avec les banales gesticulations de la spontanéité. Sautiller n’est pas encore danser et pousser la romance n’est pas encore chanter. L’enfant le comprend très tôt qui refuse que l’on en prenne à son aise avec les rituels de l’entrée dans le jeu et dans son déroulement. En faire fi est se mettre « hors jeu », c’est réintroduire le chaos dans l’activité ludique. Or, la perspective du chaos est, ici, comme en chacun des domaines de la vie, ce qui ne peut manquer de susciter les peurs les plus grandes laissant pressentir, dans la turbulence incontrôlée, la proximité inquiétante de la mort : le chaos est toujours, peu ou prou, meurtrier. Dans le jeu, donc, comme partout ailleurs dans leur vie, les hommes ne peuvent vivre sans règle. Seul le caprice ne le sait pas et ne veut pas le savoir. Il se fait centre du monde en voulant plier l’alentour des êtres et des choses à la démesure de sa demande ponctuelle. Mais le caprice est invivable parce qu’insupportable aux autres. S’il est le plus fort il se comporte comme un tyran se prenant pour l’unique centre du monde. S’il ne l’est pas, il est voué à l’exclusion qui le marginalise en le ridiculisant, faute d’avoir compris que le vivre en commun impose toujours un ajustement à des règles.
    Des règles qui, comme toute règle, imposent une contrainte, mais une contrainte consentie parce que garante du bon déroulement de la partie. Une telle contrainte n’a rien à voir avec celle de la nécessité du monde et des choses, son seul but étant de canaliser l’énergie et de permettre une vie commune pacifique. Le sens de ces règles est immédiatement repérable : elles ont pour but de donner forme au rêve d’une liberté qui se déprend des urgences et de l’inéluctable et, pour cela, se donne à elle-même un monde à la mesure de son attente.
    Dans le jeu, la liberté se construit donc un monde à la mesure de son attente, délimitant son propre espace et imposant au temps son propre rythme. Et, donnant à son activité une allure de fête, non seulement déchargée de l’urgence des contraintes extérieures mais comme en un constant défi à la nécessité et à la mort. S’il est un tant soit peu lucide sur lui-même l’être humain n’ignore pas que la mort est son lot. Mais, dans le temps où il s’adonne à son jeu, il peut se laisser croire à lui-même qu’il en recule l’échéance dans le triomphe assuré sur les obstacles qu’il s’est donnés. En cela, jouer est toujours, par quelque manière, se donner le sentiment d’être immortel. Un sentiment sans doute fugitif et illusoire et pourtant les hommes en ont aussi besoin pour habiter leur propre temps de vie.

    La permanence de l’enfance dans l’homme
    Les jeux de l’adulte sont, certes, différents de ceux de son enfance, plus complexes et plus sophistiqués. Jouer aux échecs n’est pas jouer à la marelle et l’apprentissage est d’une autre nature. Mais pourquoi les hommes ont-ils, à ce point, besoin de jouer que, sitôt achevées les tâches nécessaires à la vie, ils reviennent si volontiers vers cette scène où leur propre vie se dépense dans la danse, le chant ou le récit d’aventures impossibles dans le quotidien des occupations contraintes ?
    En fait, si le jeu exerce une telle attraction sur tous et sur chacun c’est qu’il leur permet de revivre l’insouciance qui a marqué le temps de leur enfance. Le joueur atteste de la permanence, dans l’homme, de son enfance. Sans doute, l’homme devenu adulte n’est-il plus un enfant, puisqu’il exige des autres qu’ils le prennent au sérieux. Il lui faut se comporter d’une manière sérieuse pour être reconnu et quiconque mène sa vie comme un pitre croit être accepté puisqu’il fait rire, ne parvenant qu’à grand peine à se cacher à lui-même que de tels rires ne sont que de mépris ou de commisération. Etre adulte requiert donc du sérieux, mais, sitôt qu’il recommence à jouer, ce même adulte est encore cet enfant que, par ailleurs, il ne veut plus être. En précisant toutefois que, parlant de la sorte, nous parlons grec et non pas latin. En parlant de l’enfance, en effet, nous employons un vocable qui désigne ce temps de la vie comme celui qui demeure en deçà du seuil des mots. L’infans est celui qui ne parle pas, non pas tout à fait étranger aux mots de la langue, mais extérieur à eux, faute de pouvoir s’exprimer en son nom propre. Le latin désigne l’enfant par cette extériorité. Plus fine, par contre, la langue grecque qui fait recours à la même racine pour désigner l’enfant, le païs et le fait de jouer, païzein. En ce sens, l’enfance et le jeu appartiennent à la même aire de rapport à la vie, celui de l’insouciance qui ne sait pas encore le poids des contraintes de la nécessité, ou bien qui choisit de n’en pas tenir compte, le temps de son jeu.
    Là est bien, en effet, le propre de l’insouciance. Elle ne sait pas encore le poids des contraintes extérieures pas plus que le caractère inéluctable du déroulement du temps. Le temps de l’enfance n’est pas celui de l’innocence. Les enfants peuvent, aussi, se montrer cruels et se laisser fasciner par l’exercice gratuit de la violence. C’est pourquoi ce temps de la vie est plutôt celui qui ne sait encore rien du souci qui oblige l’être humain à se plier aux contraintes de la vie commune comme à celle des choses. Vivre dans le monde et, dans ce monde, tenter de se faire une place requiert un constant souci de l’ajustement à la nécessité dont nul n’est le maître. En faire fi est mettre sa vie en péril, mais l’insouciance ne sait pas encore le poids de ces contraintes. Sa vie, elle n’a pas encore à la gagner en se pliant aux contraintes du travail.
    Entrer dans l’âge adulte est donc quitter le temps de son enfance, c’est être désormais requis par le souci d’avoir à subvenir à ses besoins et par celui de se faire une place au milieu de tous les autres. Cependant, lorsque l’homme adulte s’adonne au jeu c’est bien à revivre et à faire revivre en lui ce temps de l’absence de souci qu’il s’attache. Il ne redevient pas l’enfant qu’il a été, puisqu’il ne peut abolir le cours du temps. Du moins, lui reste la possibilité de vivre, à nouveau et durant un moment, selon l’esprit de cette époque de sa vie passée. Devenu adulte, le corps est marqué par les épreuves de la vie et par l’usure de ses organes. Et pourtant demeure en lui la légèreté de l’âme de l’enfant qu’il a été et son insouciance. Dans la vie de l’adulte, l’enfance n’est donc jamais morte qui se rappelle par les traces des blessures enfouies comme, aussi bien, par l’éclair de joie qu’elle laisse transparaître dans le regard de celui qui, dans son jeu, s’est révélé aux autres et à lui-même vainqueur. De son enfance, nul n’est jamais tout à fait sorti et, lorsqu’il joue, il en laisse transparaître la nostalgie, dans l’éclair du regard du vainqueur ou dans le désarroi du vaincu qu’ils ne peuvent ni l’un ni l’autre masquer.

    L’indice imaginaire
    Là où des hommes jouent, ils mettent en scène un rêve qui est comme la matrice de tous les autres, le rêve d’une liberté souveraine, capable de façonner un monde à la mesure d’une attente libérée des contraintes de sa condition. Sans avoir à endurer la domination ordinaire des autres hommes ou la nécessité des choses, et sans avoir à pâtir d’un temps qui ne cesse de leur échapper. Activité gratuite, puisque pour rien d’autre qu’elle-même, mais non pas frivole pour autant. Lorsque l’activité ludique cède à la séduction de la frivolité et à l’agitation fébrile le jeu n’est plus, alors, que la caricature de lui-même, preuve que les hommes ne savent plus réellement vivre leur vie. Dépossédés d’eux-mêmes dans les activités qui subviennent à leurs besoins, ils ne savent plus que se fuir en ces agitations qui leur donnent l’illusion qu’ils sont enfin eux-mêmes. Tout jeu a donc sa part de sérieux : il est comme la respiration de la vie enfin rendue à elle-même. Une vie enfin libre pour ce qu’elle désire, dans un constant défi à la nécessité et, pour tout dire, à la mort.
    Mais c’est bien, là, pourtant, que réside toute l’ambiguïté du jeu car qu’est-ce qui, en fin de compte, se joue là ? Une part de la vie, ou bien la vie elle-même ? Tant que les hommes parviennent à repérer la frontière entre leur activité ludique et leur confrontation avec la réalité du monde, celle des autres, des situations et des choses, ils ne courent aucun risque de se méprendre. En effet, lorsque commence le temps du jeu l’autre part de la vie est comme maintenue entre parenthèses et son urgence suspendue. Toutefois, cette autre part de la vie, si elle peut être suspendue ce n’est que pour un temps puisque, lorsque le jeu s’arrête, on sait que l’on retrouve le sérieux de ce qui nous sollicite au-dehors.
    Dès lors, l’activité du jeu ne peut se mettre en place et se maintenir que dans la nette conscience de sa distinction avec le reste de la vie, ses tâches et ses soucis. On ne fait son entrée sur cette scène et dans ce temps spécifiques qu’en maintenant la conscience d’un indice imaginaire qui, d’emblée, marque sa différence en s’annonçant en comme si. La scène offerte au jeu est une portion délimitée de l’espace du monde, son temps est une portion du temps de la vie. La délimitation de ce « ici » et de ce « moment » particuliers indique une frontière dont les hommes ne peuvent se passer et qu’ils ne peuvent impunément franchir. Une frontière invisible mais essentielle, parce que vitale. L’imaginaire n’est pas le réel, ils ne peuvent pas plus se confondre que ne le peuvent le vrai et le faux, le juste et l’injuste, le bien et le mal. Si, en effet, le rêve auquel le jeu donne consistance est ouverture sur une part encore insoupçonnée de la vie il ne saurait impunément se donner pour la vie elle-même. Portion d’espace, il ne peut absorber tout l’espace, portion du temps, il ne peut plier la totalité du temps à sa loi.
    Ne pas parvenir à discerner le tracé de cette frontière invisible qui sépare l’un et l’autre est courir le risque de se briser contre les contraintes qui, elles, sont toujours là. Ou bien de devenir la proie consentante de tout pervers qui a intérêt à brouiller les références indispensables à une vie relativement pacifiée car son but est de manipuler les naïfs trop prompts à lui accorder crédit. Le mythomane peut se complaire dans son univers particulier tant que les urgences du dehors ne sont pas trop fortes mais la vie des individus et celle des peuples est pleine de rêves sans nombre qui se sont brisés sur la dureté du monde ou de l’Histoire. Lorsque les rêves ne veulent pas savoir qu’ils ne sont que des rêves, l’une des possibilités de la vie mais non pas la totalité de la vie, ils condamnent l’existence à se briser contre la dure réalité de sa condition. Son corps ne peut pas vivre au seul rythme de cette possibilité et le temps dont elle dispose n’est pas sans fin.
    Pour habiter sa propre vie, il importe de savoir jouer, comme il importe de céder à la sollicitation des rêves. Et pourtant la vie n’est pas un jeu, sauf pour qui n’a pas de scrupule à disposer de ses semblables, indifférent à leurs souffrances. Se laisser croire à soi-même que la vie, en son ensemble est un jeu, voire que tout n’est que jeu dans la vie est anesthésier sa propre conscience en la rendant indifférente aux souffrances des victimes qui, elles, ne peuvent céder à une telle séduction car leurs souffrances est bien réelle. La victime pâtit d’une condition qui rend tout rêve impossible. Considérer la totalité de la vie comme un jeu est posture d’esthète qui ne se considère pas comme tenu au sérieux de la souffrance. Du moins, tant qu’il n’a pas souffert dans sa propre chair. Prétendre se jouer et rire de toute chose est simplement trahir cette méconnaissance de notre condition d’homme. Dans sa prétention affichée, un tel rieur se pose comme affranchi de toute contrainte sociale, il n’est guère plus qu’un inconscient qui ne sait pas encore ce qu’il en est de cette condition, ou qui se refuse à l’admettre. Le bourreau s’amuse qui jouit de la souffrance de sa victime, mais il n’est qu’un pervers pour qui rien ne vaut, pas même la vie d’un homme. Et si rien ne vaut, alors il peut considérer que tout lui est permis en se jouant de la souffrance d’un être humain. Narguer la mort est, peut-être, dissiper la peur qu’elle suscite, ce n’est pas en abolir l’échéance. Si la vie ne peut donc se laisser, tout entière, réduire à un jeu c’est que son enjeu est autrement plus grave. Il y va du destin des hommes et du sens de ce temps qu’ils ont à vivre.
    Ce qui est façon de souligner la limite de la formule de Schiller. Il est vrai que « l’homme ne joue que là où, dans la pleine acception de ce mot, il est homme ». Le jeu confère à sa vie cette souplesse et cette légèreté qui lui permettent de respirer mais la vie d’un être humain n’est pas et ne peut pas être que légèreté, dès lors qu’elle prend la mesure de la fragilité de son destin de créature que la douleur n’épargne pas.
    Jeu dans la vie et non jeu de la vie. Si le jeu introduit de la légèreté dans la lourdeur ordinaire, il ne saurait pour autant effacer la gravité de cette même vie car si on peut rire de sa propre souffrance, on ne le peut de la souffrance d’un autre. Cela est de mauvais goût et, pour tout dire, obscène. Dans la reconnaissance et l’acceptation de ses nécessaires limites, cette activité ne saurait donc se laisser réduire au simple délassement d’hommes fatigués par les tâches du quotidien. Elle est d’abord et avant tout ce qui, dans leur vie ordinaire, leur offre l’ouverture de perspectives plus chatoyantes que ce même quotidien. Pourtant, si le jeu introduit dans le cours ordinaire des jours un monde imaginaire, ce n’est qu’en incitant à toujours repérer l’indice qui évite de le confondre avec le reste de la vie. Faute de le reconnaître, en effet, la vie se prend elle-même à son propre piège. Elle croyait s’affranchir de la nécessité, mais le masque dont elle s’est affublée, elle ne parvient désormais plus à le distinguer de son propre visage.
    C’est en ce sens que le jeu peut être considéré comme la figure de la liberté humaine. Il exprime l’audace d’une liberté qui ne se résout pas à n’être que ce qu’elle est, limitée dans ses prérogatives et, en elle-même, fragile comme l’est le vivant humain. Il permet d’oublier, un temps, la hantise de cette fragilité. Il ne peut, pourtant, l’abolir. Et si tout jeu repose, pour sa régulation interne, sur des règles qu’il lui faut respecter, il doit, aussi, reconnaître sa limite : il ne peut se confondre avec le tout de la vie. Si sa mise en œuvre est exercice d’une liberté revendiquant sa souveraineté, il lui faut reconnaître sa limite : il ne peut abolir la précarité de la condition de tout homme. Dès lors, habiter sa propre vie comme un être humain est donc, sans cesse, osciller entre la gravité du sentiment de sa précarité et celui d’une légèreté qui nous ouvre l’espace de tant de possibles.


    Il est vrai que certains ragent
    Mais n’oubliez pas ceci n’est qu’un simple JEU
    sigpic

  • #2
    erf ^^

    j'ai commencé a lire mais au bout du 2eme chapitre sa ma lassé ^^

    du coup j'ai lus la derniere phrase et je dis +1 ^^

    bon jeu a tous ^^

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    • #3
      omg
      sigpic

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      • #4
        ça fait la morale mai ça ne ce regarde pas le nombril comme toujours donc au lieux de tjrs incriminer les rageur comme tu dit et bien un fait scientifique imparable qui ce nome la cause a effet , ce qui veux dire en plus simple si il y avais pas des gens qui ce disent intelligents mai donc leur comportement et tout sauf respectueux d'un grand nombre qui joue dans le comme si il étais seul et si ces même pseudo gens dit soit disent mature , ne s'amusais pas a pk les autres joueur a tout vas tout en provoquant ces dernier et si ces même individus avec un altère égaux sur dimensionner ,ne monopolisais pas le jeux il y orrais pas de rageur c'est tjrs plus simple pour un vaniteux de dire que ce sont les rageur les mauvais au lieux de revoir la façon don il joue, comment il respecte les autres joueur sous prétexte qu'il est dans le jeux un des plus fort et que de plus s'impose au autre comme un vrais dictateur ! comme tjrs vous passé votre temps a monter les autres du doigt mai vous êtes incapable de vous regarder dans une glace !plus prétentieux et orgueilleux que vs il y a pas ! non mais sérieux s'enorgueillir d'avoir un perso fort et s'imposer ds un jeux au détriment de tout les autre joueur , il y a la pas de maturité ! a bonne entendeur slt !

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        • #5
          Envoyé par R2103540396 Voir le message
          ça fait la morale mai ça ne ce regarde pas le nombril comme toujours donc au lieux de tjrs incriminer les rageur comme tu dit et bien un fait scientifique imparable qui ce nome la cause a effet , ce qui veux dire en plus simple si il y avais pas des gens qui ce disent intelligents mai donc leur comportement et tout sauf respectueux d'un grand nombre qui joue dans le comme si il étais seul et si ces même pseudo gens dit soit disent mature , ne s'amusais pas a pk les autres joueur a tout vas tout en provoquant ces dernier et si ces même individus avec un altère égaux sur dimensionner ,ne monopolisais pas le jeux il y orrais pas de rageur c'est tjrs plus simple pour un vaniteux de dire que ce sont les rageur les mauvais au lieux de revoir la façon don il joue, comment il respecte les autres joueur sous prétexte qu'il est dans le jeux un des plus fort et que de plus s'impose au autre comme un vrais dictateur ! comme tjrs vous passé votre temps a monter les autres du doigt mai vous êtes incapable de vous regarder dans une glace !plus prétentieux et orgueilleux que vs il y a pas ! non mais sérieux s'enorgueillir d'avoir un perso fort et s'imposer ds un jeux au détriment de tout les autre joueur , il y a la pas de maturité ! a bonne entendeur slt !

          Et voila , juste lire un titre , et c'est parti ....... Je ne fais ni morale , ni apologie de la grandeur..... Mais encore faut-il lire , et surtout savoir lire entre les lignes..
          Qu'en à mon reflet dans un miroir , ca va je m'en sort pas mal....
          sigpic

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          • #6
            Merci de rester calme et serein, le forum est un lieu de discussion pas un pugilat

            Cordialement,

            Payneio
            sigpic


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